mardi, janvier 23, 2007

Anfgou (Province de Khénifra) : La mort continue de frapper sur le toit du Maroc

À cause d’une « maladie mystérieuse », plus d’une vingtaine de bébés et deux adultes sont morts à Anfgou. Dans ce douar « enterré vivant », les enterrements se succèdent et se ressemblent (Voir la vidéo).



envoyé par zainabi

ANFGOU Aït Âmmar Ahemmi. Cette appellation désigne un douar de la province de Khenifra exilé au milieu des montages du Haut Atlas oriental. C’est ici, à 1.600 mètres d’altitude, que la mort noire frappe en silence depuis près de deux mois. Elle a fait jusqu’au dimanche 7 janvier au soir, 26 victimes : 24 enfants de 3 à 14 mois et deux mamans de 16 et 17 ans. Le dernier décès a été enregistré le vendredi 5 janvier. Ce jour-là, un bébé de quatre mois, Mohamed Bouazza, est mort.

Le petit Mohamed et les autres sont décédés après avoir vu leur état de santé se dégrader rapidement à cause d’un refroidissement. Pour la plupart, ils sont partis sans avoir pris de médicaments ni consulté de médecin de toute leur vie. Pour la plupart, ils n’ont jamais été vaccinés. Pour la plupart, ils ne savent pas à quoi ressemble un vaccin, un médecin, un hôpital, une vraie vie...

Un exil nommé Anfgou

À Anfgou, pour 1500 habitants, il n’y a ni hôpital ni Centre de santé, ni médecin, ni infirmier. Il n’y a ni ambulance ni sapeurs-pompiers. Il n’y a ni téléphone fixe ni réseau pour le téléphone mobile. Il n’y a pas de gendarme non plus. Le seul représentant de l’autorité de Rabat sur la localité est le garde forestier.

L’eau est ici rare et l’électricité inexistante parce que trop coûteuse pour une population qui vit, avec dignité, dans l’indigence la plus absolue.

Ce qu’il y a par contre dans cette région : de nombreux polygames, une progéniture abondante, une cédraie à perte de vue, le chêne vert par endroits, des mules surexploitées, des mouflons que personne n’a le droit de chasser, des sangliers mangeurs de pommes de terre, une classe délabrée qui sert d’école primaire et un cimetière « artisanal » qui s’étend de jour en jour à l’orée de masures couleur de terre. Cet endroit macabre est le plus fréquenté ces jours-ci.

« La maladie mystérieuse emporte les nôtres comme le vent fort emporte les brindilles du cèdre », explique, ému, Moujjane Rahou Mimoune (60 ans environ). Son frère aîné a un enfant malade qui s’appelle Mohamed et est âgé de sept mois. Ce bébé est mourant depuis une semaine. Comme le faisaient au crépuscule de leur vie ceux qui viennent de mourir, il tousse, vomit le peu de lait et d’eau que sa maman l’oblige à ingurgiter, souffre de diarrhées, est fiévreux et ne peut plus relever la tête de jour comme de nuit. Le vieil oncle craint pour les jours de son jeune neveu. Dans le voisinage, d’autres enfants présentent les mêmes symptômes. Ils n’ont le plus souvent comme remèdes que quelques herbes et beaucoup de vaines prières.

« Allah, pitié ! »

« Ces derniers temps, l’hiver est particulièrement froid », confie Rahou Mimoune avec amertume. De ses mains ridées et tremblantes, il désigne la montagne en face pour la prendre en témoin. Au loin, l’horizon tout blanc confirme que la neige dense et éclatante s’étend encore partout. Elle dégage un froid de loup.

D’une voix grave qui couvre le sifflement du vent, le sexagénaire se rappelle un autre hiver tout aussi glacial. En pliant ses doigts l’un après l’autre pour décompter les ans, il se rappelle, les yeux mouillés : « Il y a une vingtaine d’années, « attalja » (la neige) avait tué dans notre région femmes, hommes et enfants ». En 1980, près de 80 personnes ont trouvé la mort dans l’hiver sibérien qu’a connu alors Aghedou, suite à une brusque baisse des températures bien en dessous de zéro.

Pour implorer la pitié divine, Raha Mimoune lève les yeux au ciel éclairé qui semble si proche de sa tête enturbannée et soupire. Au bout d’un long moment de recueillement, il murmure avant de partir dans le froid réchauffer le cœur de son frère : « Amen ! »

Au chevet de Mohamed

Mohamed est parmi une centaine d’enfants qui viennent d’être auscultés par un médecin généraliste (certains disent que ce n’est qu’un infirmier) ayant été dépêché sur les lieux de Tounfit (petit village à 75 km d’Anfgou). Cette mesure a été prise le 29 décembre par le ministre de la Santé. Mais, après la constatation d’une dizaine de cas de décès successifs et semblables.

Les consultations ont été rapides. Elles n’étaient appuyées ni par une quelconque radiologie, ni par aucune analyse. De simples questions ont suffi au soignant pour qu’il remette aux patients des antibiotiques, des sirops et des comprimés. Cette médecine n’a rien changé à l’état de santé de Mohamed ni à celui des autres enfants malades.

Faux diagnostic ?

Sur la base des observations effectuées à la sauvette à Anfgou, le ministre de la Santé a incriminé une pneumopathie causée et aggravée par le froid. Il a rejeté d’une manière formelle l’existence d’une épidémie.

De l’avis de la population locale, ni le ministre ni les représentants de son département à Tounfit n’ont été convaincants. « Leur bilan relève de la magie noire officielle. Parce qu’on ne peut pas expliquer autrement le fait d’établir un diagnostic sans prise de sang ni analyses et sans même le recours à la radiologie », s’insurge un militant de la section de l’AMDH à Tounfit.

Sur le même ton, la section de l’AMDH dans la ville de Khénifra a publié un communiqué qui réclame l’ouverture d’une enquête sur les nombreux décès déplorés à Anfgou.

« Il faut une véritable enquête sur cette grippe aiguë et, pourquoi pas, des autopsies pour définir exactement l’origine de ce mal qui emporte essentiellement les enfants en bas âge », martèle Aziz Akkaoui, secrétaire local de l’AMDH à Khénifra. L’ONG s’active pour que les personnes toujours malades à Anfgou et ailleurs soient sauvées avant qu’il ne soit trop tard. Elle exige une véritable implication des autorités sanitaires dans cette région enclavée où vivent des populations parmi les plus démunies du pays. Pour les défenseurs des Droits de l’Homme de Tounfit et de Khénifra : « plus que le froid, ce qui tue dans tout l’arrière-pays de Khénifra, c’est la marginalisation d’une population qui semble considéré par l’Etat comme inutile. »

En demandant réparation pour les « damnés de l’arrière-pays », la plupart des militants comme certains habitants des zones oubliées de la province de Khénifra rappellent que la cédraie permet à certaines communes rurales de dégager des excédents annuels dépassant souvent un milliard de centimes. Mais cette manne n’a jamais été utilisée pour désenclaver Tounfit et ses régions.

Les camions de l’espoir
Seuls quelques rares camions de 8 tonnes peuvent encore relier Anfgou et les douars voisins (Tirguist, Aghdou, Anmzi et Tighidiouine) au petit bout du monde qu’est la bourgade de Tounfit.

Sur une distance de 75 kilomètres, une quarantaine de passagers traverse durant cinq heures des ornières escarpées sur un véhicule suranné. Ils voyagent entassés les uns sur les autres pour aller acheter leurs provisions de la semaine. Ce parcours périlleux n’est possible que quand la clémence du temps le permet. Quand la route est coupée par la neige ou par l’oued Tougha, la population ne doit sa survie qu’à son esprit exemplaire de solidarité.

« Quand nous nous trouvons coupés du monde pendant des mois, nous nous partageons pommes de terre, pain de sucre, thé, pain... Nous nous partageons tout, même quelques fous espoirs et beaucoup de blagues. Nous procréons aussi beaucoup à ce moment-là », souligne Hammou, un trentenaire qui sait si bien tourner tout et tout le monde en dérision.
La mort frappe à la porte d’Anmzi
Le mardi 9 janvier, un homme dans la cinquantaine est décédé à Anmzi, une localité voisine d’Anfgou (à une vingtaine de kilomètres environ). Le défunt a pris froid il y a peu de temps et son état s’est vite aggravé, selon sa famille.

Ce cas montre que la « maladie mystérieuse » semble se propager. Au vu de son évolution, des médecins contactés à Casablanca n’excluent pas l’hypothèse de l’épidémie.
Télévision : « La Une et la deux, zéro »
« Zéro ! », crient en chœur les jeunes d’Anfgou et de Tounfit pour interpréter le traitement télévisuel que les deux chaînes nationales ont réservé aux décès en série qu’a connus leur région.

À l’arrivée de la caméra de 2M à Anfgou, la population locale a allumé des bougies pour protester en silence sur sa situation lamentable. Mais, cette manifestation spontanée n’a pas été filmée.

Après 2M, un cameraman de la TVM s’est obstiné à rapporter des chiffres faussant la réalité. Pour lui, les décès n’ont guère dépassé onze. Pourtant, à la veille de son arrivée, une famille endeuillée enterrait le petit Mohamed. Il était le 26ème mort.

« Quand je les ai vus arriver à bord du véhicule de la commune de Tounfit, je me suis dit qu’ils ne pouvaient pas dire grand chose sur notre deuil et sur notre misère », regrette, ironique, le père d’une petite fille décédée.
Source : LeReporter.ma
NB: Un grand remerciement à M. Zainabi Mohamed pour le reportage qu'il a effectué

Aucun commentaire: